"L'année 2023 sera une année de victoire et d'entrepreneuriat", s'est enthousiasmé le président de la République, Andry Rajoelina, en conclusion de son allocution de fin d'année 2022. Sa prise de parole était l'occasion de faire le bilan des réalisations de l'État au cours de cette année.
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Andry Rajoelina, lors de son allocution
Des réalisations et des projets en cours
Andry Rajoelina a brossé un tableau plutôt flatteur de l'année qui vient de s'écouler même s'il a entamé son discours par le même constat que celui de la plupart des Malgaches : 2022 était une année difficile ! Entendre le président énumérer les "zava-bita" (réalisations) est devenu chose courante : les infrastructures routières telles que la RN5 A reliant Ambilobe à Vohémar ; la cimenterie Cementis d'Ibity qui sera complètement opérationnel dans deux ans, la centrale hydroélectrique de Farahantsana à Mahitsy... Il n'a pas manqué de faire miroiter les projets en cours et futurs, comme la construction de six nouvelles usines sucrières ; la construction du pipeline Efaho - Ambovombe ; la renovation des routes nationales 2, 4 et 7... Et comme l'on pouvait s’attendre, le président a rappelé au peuple malgache qu’il a reçu deux trophées cette année : le titre du "Champion de l'industrialisation", remis par l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI) et le titre de "Champion de la nutrition" que la Banque africaine de développement l'a octroyé pour la deuxième fois.
Sous le seuil de la pauvreté
Mais la réalité est tout autre, pour bon nombre de Malgaches. Le vécu de la population se rapproche plus de ce que le dernier rapport de la Banque Mondiale a révélé. L'étude a souligné l'augmentation du nombre de Malgaches vivant sous le seuil de la pauvreté en 2022. Si les statistiques parlaient d'un taux de pauvreté de 73,7% en 2017, le chiffre annoncé cette année plane à 81%. Ainsi, actuellement, 81% des Malgaches vivent avec moins de 2,15 $ par jour (2 €), alors que selon la définition de la Banque mondiale, toute personne qui dispose de moins de 2,15 dollars par jour est considérée comme vivant dans l’extrême pauvreté. Concrètement, le rapport divulgue que la majorité de la population de la Grande Île ne dispose que de 7.575 ariary par jour pour vivre. La pandémie de covid-19, la guerre en Ukraine entrainant l'augmentation du coût des énergies, des matières premières et des produits de première nécessité y étaient pour quelque chose. Cela dit, l'on ne peut pas toujours blâmer les causes externes au pays !
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Enfants malnutris pris en charge par les agents communautaires de la commune Namohora Iaborano, district de Farafangana, région Sud-Est
Augmentation du taux de malnutrition
La pauvreté endémique a été exacerbée par le passage de six cyclones intenses au début de l'année 2022. Plusieurs milliers d'hectares de rizières et de champs de cultures ont été détruits, notamment dans la partie Sud-Est de l'île. Ce qui a entraîné l'augmentation du taux de malnutrition. Le Grand Sud de Madagascar, en revanche, est toujours en proie à la sécheresse. D'après le Bulletin conjoint publié au mois de novembre 2022, à propos de la Sécurité Alimentaire Nutrition et Alerte Précoce à Madagascar, la situation nutritionnelle est en dégradation pour le Grand Sud Est et le Grand Sud. 50% à 65% de la population des Districts d’Ampanihy et Bekily pour le Grand Sud et de Befotaka pour le Sud-Est sont en insécurité alimentaire aiguë élevée, c'est-à-dire en Phase 3 du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire ou IPC. Mais les districts les plus affectés sont Ikongo et Bekily, avec 15% de leur population en urgence alimentaire ou en Phase 4 de l’IPC, suivis de Befotaka et d’Ampanihy (10%), et enfin des Districts d’Ambovombe, Amboasary Atsimo, Betroka, Betioky Atsimo, Farafangana, Midongy Atsimo, Vondrozo et Nosy-Varika (5%). Cette catastrophe est en partie imputée aux effets du changement climatique. Il faut cependant savoir que la malnutrition a des causes multifactorielles. Ses principales causes directes sont l’insécurité alimentaire des ménages, l’insuffisance des services de santé, le problème d’eau et d’assainissement, la mauvaise qualité de traitement des femmes et des enfants… Le double Champion de la nutrition a du pain sur la planche !
Dégradation de l’environnement
Pour en revenir au changement climatique, cette catastrophe impacte, non seulement la sécurité alimentaire de Madagascar, mais aussi son environnement. Mais la dégradation de l’écologie est aussi et surtout la conséquence des activités humaines. Selon la Banque mondiale, les dégâts économiques engendrés par la dégradation des terres à Madagascar depuis les années 2000, sont de l’ordre de 6,7 milliards USD. Pourtant, nous n'arrivons toujours pas à protéger nos terres des feux de brousse. Au mois de septembre et d'octobre de cette année, au moins six aires protégées ont été littéralement réduites en cendres, selon Madagascar National Parc. Il s’agit, entre autres, de la zone de reboisement de Marohogo, le parc national d'Ankarafantsika et la Baie de Baly, dans la région Boeny ; la réserve naturelle d’Ankaratra... Faut-il rappeler que la faune et flore exceptionnelle de Madagascar lui offre un potentiel touristique inestimable ? Cependant, la protection de l'environnement ne semble pas faire partie des priorités de l'État. Pour développer le secteur touristique, Andry Rajoelina veut plutôt miser sur l’importation de girafes, de zèbres ou d'éléphants, lançant ainsi le tourisme safari. Pour rappel, cette déclaration a été faite lors du forum des investisseurs pour l'émergence de Madagascar. Les investisseurs qui voudraient se lancer dans cette aventure bénéficieraient d'une exonération de taxe sur les importations de ces animaux d’attraction.
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La majorité de la population de la Grande Île ne dispose que de 7.575 ariary par jour pour vivre.
Insécurité croissante
Mais si les investisseurs se rechignent à s'implanter à Madagascar, c'est aussi pour des raisons de sécurité. Dans les grandes villes, les actes de banditisme font partie du quotidien de la population. Les gérants de Cash point ou kiosque de transfert d’argent par mobile money ont notamment été choisis comme cible cette année, causant la perte de sommes importantes mais aussi de vies humaines. Dans les campagnes, les vols de zébus reste un problème chronique difficile à résoudre. Au mois de juillet, par exemple, 32 personnes ont péri lors d’une attaque de voleurs de bétail à Ambolotarakely, commune d’Ankazobe. Les "dahalo" avaient rassemblé les victimes dans trois maisons avant d’y mettre le feu. Les meurtres mais aussi les viols font partie des hantises de la population. Les vols d’organes, notamment d’yeux d’enfants, ainsi que le kidnapping des enfants albinos sont en recrudescence. C’était d’ailleurs l’origine de la tuerie d’Ikongo. Un enfant albinos a été kidnappé le 29 août 2022 et sa mère tuée. Par la suite, quatre suspects ont été appréhendés et ont été mis en garde à vue. Ce crime a engendré une émeute quand la foule, réclamant qu’on leur livre les suspects, a tenté de pénétrer dans la gendarmerie où ils étaient détenus. Afin d’empêcher une vindicte populaire, les gendarmes ont tiré et ont tué une vingtaine de personnes.
Manifestations et revendications
Ainsi, certaines manifestations et revendications ont parfois dérapé. Pas plus tard qu’au début du mois de décembre, deux étudiants de l’école normale supérieure (ENS) d’Ampefiloha ont été interpellés par les forces de l’ordre. Ils manifestaient avec d’autres étudiants pour exprimer leur mécontentement, à propos de la politique de l’Etat sur le recrutement d’enseignants. Cette année a d’ailleurs connu plusieurs épisodes de grève : les étudiants de plusieurs universités ont manifesté pour le retard de paiement de leur bourse ; les étudiants en médecine étaient en grève pour réclamer la hausse de leur présalaire, une suite logique de l’annonce de l’augmentation des salaires des fonctionnaires par le président au 1er mai 2022 ; arrêt de travail d’un mois des employés du ministère des affaires étrangères pour revendiquer, entre autres, la perception de leurs émoluments dont la dotation a déjà été approuvé par le gouvernement ; arrêt de travail aussi pour les greffiers qui réclamaient une amélioration de leur conditions de travail et de leur statut, et qui a débouché par la coupure de salaire d’une cinquantaine d’entre eux ; grève des employés du sénat pour le non-paiement de leur salaire… Il se murmure alors, que les caisses de l’Etat sont complètement à sec. Ce qui a entrainé le retard de la perception des salaires des fonctionnaires au mois de décembre. Mais le président n’a touché mot sur ce sujet lors de son allocution. En revanche, Andry Rajoelina a promis aux chefs Fokontany de tripler leurs indemnités. Un beau cadeau en ce début de l’année électorale !
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